Beaucoup de mes collègues détestent les faits divers qu’ils assimilent à une sorte de voyeurisme malsain, et je pense qu’ils ont parfois bien raison. De mon côté, je crois que c’est un genre à part qui nécessite un minimum de contacts privilégiés, une certaine capacité d’investigation et beaucoup de déontologie. L’affaire Justine Vayrac l’a une nouvelle fois démontré ces dernières semaines en Corrèze.
J’ai pu faire remonter des informations à la rédaction rapidement grâce à des sources. Ce sont des gens que j’ai rencontrés de longues dates, avec qui j’ai déjà travaillé, et qui me font confiance. Certains d’entre eux m’ont demandé de ne pas sortir des informations sensibles, ou de temporiser pour éviter d’entraver le travail des enquêteurs. Je l’ai respecté et la rédaction a parfaitement joué le jeu.
Nous avons pu rapidement savoir qui était l’avocat du suspect. Quand je l’ai appelé, il m’a très mal reçu. Et pour cause : il était harcelé par des dizaines de journalistes. Je lui ai alors expliqué que nous nous interessions aux faits divers dans deux cas : est-ce que l’affaire signifie quelque chose d’un point de vue sociétal ? Est-ce qu’elle génère un émoi particulier dans la population ? La triste histoire de Justine Vayrac est un faits divers qui ne me semble pas révélateur d’un fait de société. Il est par contre évident qu’elle a ému la Corrèze, et même au-délà. Dans ces conditions, il était important que les journalistes délivrent des informations vérifiées.
J’ai également expliqué à Maître Labrousse que le journalisme était comme tous les autres métiers. Il y a de bons avocats, d’autres ne le sont pas. Il y a de bons vendeurs, et d’autres qui n’arrivent pas à réaliser leur chiffre d’affaire. Et bien certains médias se fixent des limites. D’autres pas.
Car les faits divers sont très prisés par le public et génèrent de l’audience. Une chaîne d’information continue nationale a consacré plus de 20 heures à l’affaire Justine Vayrac en quelques jours. Les faits divers peuvent aussi être instrumentalisés à des fins politiques. Mais cette fois-ci, le suspect n’avait pas le bon profil pour être stigmatisé.
Je reste pour ma part convaincu que l’information n’est pas une marchandise comme les autres. Nous racontons la vie des gens et devons donc être très respectueux. D’autant que nous travaillons sur le service public avec leurs impôts.
Savoir s’arrêter
Le suspect a été arrêté et est passé aux aveux. La victime a été retrouvée. Après cela, n’était-il pas nécessaire d’arrêter de couvrir l’affaire Justine Vayrac ? Je pose cette question parce que les résultats de l’autopsie sont tombés il y a quelques jours.
J’ai appelé une de mes sources qui m’a dit qu’elle était réticente à me révéler les causes de la mort de Justine pour deux raisons :
Sa famille n’avait alors pas encore eu le temps de trouver un avocat et de se constituer partie civile. Dans ces conditions, elle n’avait pas accès au dossier. La justice n’a pas souhaité que la famille apprenne le résultat de l’autopsie par la presse. Elle n’a donc pas communiqué officiellement.
Et puis le suspect est resté très évasif sur le déroulement de la soirée. Il a d’ailleurs gardé le silence lors de sa première présentation au juge d’instruction. La police aurait souhaité pouvoir le mettre face à ses contradictions sans qu’il puisse préparer une réponse grâce à l’autopsie. Ce qui devenait impossible si le résultat était public.
A peine avais-je raccroché le téléphone que l’agence France Presse sortait une dépêche annoncant que Justine avait été étranglée. Les dépêches AFP sont reçues dans toutes les rédactions. Dans ces conditions, il devenait impossible de garder le secret.
Heureusement, nos sources l’ont bien compris.
Comportement indécent
Le 6 novembre 2022, une marche blanche en hommage à Justine Vayrac a réuni pas moins de 500 personnes dans sa commune de St Céré (46). Les amis de Justine, très émus, ont dit clairement qu’ils ne souhaitaient pas être mis en avant. Ils ont aussi souhaité que tout le monde garde le silence pendant la marche.
Une chaîne d’information continue a choisi de retransmettre et commenter cette dernière en direct. La caméra était à trois mètres du premier rang et de la banderolle. La journaliste tenait le cadreur pour qu’il ne trébuche pas et a parlé à voix haute des pleurs et des visages crispés. La principale organisatrice lui a demandé de s’arrêter, sans être écoutée.
J’ai personnellement trouvé ce comportement totalement indécent. Beaucoup de mes collègues ont eu la même réaction.
Faut-il tout autoriser au nom de la liberté d’expression ? Oui, sauf que ce genre d’incident jette l’opprobre sur toute une profession. Le respect de règles déontologiques me semble important dans ce genre de situation. Notre profession n’est hélas pas régulée, malgré la création d’un conseil de déontologie journalistique que je trouve bien faible.
