J’ai su qu’Emmanuel Macron envisageait de se rendre deux jours en Limousin presque une semaine avant sa venue. Le voyage a commencé à se préciser le mercredi 19 janvier 2022. Sans connaître vraiment les thèmes de la visite, je savais déjà qu’il devait aller en Creuse, puis en Haute-Vienne (St Léonard de Noblat et Oradour-Sur-Glane).
Le déplacement a été confirmé le 20 janvier à travers un communiqué de Jean Baptiste Moreau, député de la Creuse.
Le programme officiel a été dévoilé dans la foulée. Puisque le président venait deux jours, il était bien sûr hors de question que la télévision régionale ne sollicite pas un entretien. C’est à ce moment que le rédacteur en chef et moi-même avons fait une demande par l’intermédiaire du service presse de l’Elysée : 6 minutes d’interview maximum enregistrées dans les conditions du direct. La durée du JT régional est en effet très limitée.
Samedi 22 janvier en début de soirée, j’ai compris qu’il y avait une réelle ouverture quand le responsable communication m’a demandé de lui envoyer les thèmes que je souhaitais aborder : les déserts médicaux, les problèmes des éleveurs, la création d’une filière cannabis en Creuse ou encore l’A147 entre Limoges et Poitiers?
Il a transmis mes questions à la conseillère presse de l’Elysée. C’est elle qui peut parler directement à Emmanuel Macron.
Aucune certitude
Lors d’un déplacement présidentiel, chaque média est accrédité. Comme il n’est pas concevable que le chef de l’Etat soit entouré d’une nuée de caméras, seule l’une d’entre elle peut le filmer pendant son déplacement. C’est ce qu’on appelle le pool image. Toutes les vidéos sont ensuite transmises à l’ensemble des médias. Pour l’Elysée, c’est aussi une manière de contrôler la communication. Ce système existe depuis plus de 20 ans.
Les autres journalistes sont maintenus à quelques mètres et ne sont autorisés à faire que certaines images de loin ou des duplex. Toute sortie du dispositif de sécurité est définitive. Pour interviewer d’éventuels manifestants, il est nécessaire d’avoir une seconde équipe à l’extérieur du périmètre.
Avant l’arrivée du président, le matériel de toute la presse est déminé à l’aide d’un chien spécialement entraîné. Une fois que tout est sécurisé, le chef de l’Etat peut entrer en scène.
L’avion d’Emmanuel Macron devait atterrir sur l’aérodrome de Lépaud entre Guéret et Montluçon. A cause du brouillard, son Falcon a été dérouté sur Limoges. Le président est donc arrivé à Ahun avec 45 minutes de retard.
L’entretien avec France 3 Limousin était prévu vers 17h30, après une rencontre avec les professionnels de santé. Sa réalisation dépendait d’un timing déjà plus que serré.

Cadrage
La conseillère presse du président de la République est venue à ma rencontre lors de l’échange avec des jeunes au lycée agricole d’Ahun.
Je lui ai alors précisé les questions que je souhaitais poser lors de l’interview de 6 minutes maximum. Je l’ai rassurée en lui disant que je ne souhaitais pas tomber dans de basses polémiques, mais bel et bien de parler des problèmes des Limousins.
Une petite négociation s’est alors engagée. Le président avait semble t-il un message d’espoir à faire passer à la jeunesse : « c’est bien d’avoir des doutes, le tout étant qu’il ne vous paralysent pas ». J’ai accepté d’ajouter le thème de la jeunesse à mes questions.
La conseillère m’a dit qu’Emmanuel Macron avait l’habitude de faire des réponses extrèmement longues. Probablement sans aucune arrière pensée, elle m’a averti que je n’aurais sans doute pas le temps de poser plus de 2 questions en 6 minutes. J’ai eu beaucoup de mal à la croire.
J’ai également compris que l’Elysée privilégiait en ce moment la presse régionale pour faire passer le message présidentiel. En région, les médias sont moins axés sur la polémique. Il faut dire qu’une seule question intéressait les journalistes des grandes chaînes : « Etes vous candidat ? ».
A la dernière seconde
A 18h15, le chef de l’Etat était toujours en plein entretien avec les professionnels de santé à Bourganeuf. J’étais à l’intérieur de la salle. L’équipe technique attendait dehors.
Totalement dépité, le rédacteur en chef m’a envoyé un SMS : « C’est mort ». Le journal a lieu à 19 heures. Je lui ai répondu : « Tiens toi prêt avec l’équipe c’est bientôt fini. ».

La table ronde s’est terminée à 18h30. Le président a salué les médecins présents. Le service presse a fait évacuer la salle et a fait rentrer nos deux caméras, le preneur de son et l’éclairagiste. Le rédacteur en chef était là lui aussi et tenait le chronomètre.
La conseillère presse du président est alors allée lui expliquer de quoi allait parler l’interview en seulement deux à trois minutes.
Puis Emmanuel Macron nous a salué, et m’a demandé s’il fallait qu’il enlève son masque. Je lui ai répondu : « Si vous enlevez le vôtre, j’enlève le mien. Nous pouvons rester éloignés puisque je n’ai pas à vous tendre un micro grâce au preneur de son. »
Vers 18h40, l’entretien a démarré. Au bout de 6 minutes, seuls les thèmes des déserts médicaux et des problèmes des éleveurs ont pu être abordés. La conseillère presse avait vu juste.
J’ai alors clôturé l’interview. Mais le président a continué sur le message qu’il souhaitait adresser aux jeunes. A l’évidence, il est extrêmement brillant et éloquent. Il maîtrise parfaitement sa communication. Et parce qu’il est le chef de l’Etat, il est évidemment compliqué de lui demander de s’arrêter !
A la fin de l’enregistrement, il était très détendu et nous a parlé à nouveau de ce message qu’il souhaitait envoyer aux jeunes. Il semble inquiet pour eux après la crise sanitaire. Il veut qu’ils reprennent leur vie et leur avenir en main tout en les accompagnant.
Puis il nous a quitté pour poursuivre sa visite.
La diffusion
L’entretien a été enregistré par deux caméras. Mais seule l’une d’entre elles était reliée à un système d’envoi d’images en direct : celle qui filmait le président et moi même en plan large.
Le plan serré a été envoyé quelques minutes plus tard, vers 18h55. Le temps nous a manqué pour l’intégrer au montage. Voilà pourquoi toute l’interview est en plan large.
Cet entretien exclusif a été utilisé par plusieurs chaînes du groupe France TV et a même été vendu à BFM et M6. Il renforce la crédibilité de France 3 régions et plus particulièrement celle de la rédaction de Limoges.
